SEDE VACANTE 1799-1800

(August 29,1799 — March 14, 1800)


 

J. Crétineau-Joly (editor),   Mémoires du Cardinal Consalvi    (Paris: Plon 1864),  pp. 219-230  [seconde édition (1866), pp. 235-247]:

 

Cardinal Consalvi on Cardinal Herzan's Arrival

(mid-December, 1799)

 

... Les Cardinaux, pour faire hommage au cardinal Herzan , suspendinent jusqu’à son arrivée tout entretien et toute négociation ayant rapport à l’élection. Aussi peut-on dire en tonte vérité que jusquà son entrée, il ne se fit absolument rien dans le Conclave. On eut tous les égards pour le cardinal Hcrzan, à cause de la considération que l’on devait à l'empereur d’Autriche, dont il était comme le représentant. Ce monarque, à cause des circonstances dans lesquelles on se trouvait, n’avait pas voulu envoyer, ainsi que cela se pratique d’habitude, un ambassadeur au Conclave, disant qu’il préférait confier cette charge à un cardinal. De semblables égards, une aussi particulière marque d’estime furent donc témoignés à cet Empereur, victorieux en ce moment, et qui possédait non seulement les trois légations que le Saint-Siége cherchait à récupérer, mais encore tout le reste des États pontiiicaux jusqn’aux portes de Rome. Cette ville et les contrées avoisinant Terracine étaient depuis quelque temps occupées par les Napolitains. On espérait ainsi rendre ce prince plus bienveillant et plus disposé à restituer tous les domaines de l’Église au nouveau Vicaire de Jésus-Christ.

Les opérations commencèrent à l’arrivée du cardinal Herzan. Les premiers jours on ne vit pas de ces factions, qui prirent plutôt naissance dans le hasard et dans les passions immodérées de l’amour-propre — et non dans la mauvaise volonté de ceux qui s`en firent les chefs, —- que dans un complot ou par d’autres vues. ( Che da una precedente formazione di piano, o da altre mixte.)

Le cardinal Braschi , neveu du Pape défunt, aurait pu , pour parler le langage des Conclaves précédents, aspirer à devenir le chef au moins des créatures de son oncle qui formaient la majorité. Mais il était loin d’y prétendre, et sa probité, la droiture de son caractère, et peut-être aussi un certain défaut de moyens pour arriver à un tel but, l' empèchèrent de le désirer.

Chaque cardinal agissait par lui·mème et se préparait à donner sa voix à celui que sa conscience, son inclination et son jugement lui indiquaient comme étant le plus digne. Quelques jours se passèrent ainsi, et il ne s’olfrit rien de remarquable dans les scrutins journaliers. Tout àcoup, sans aucune sorte de préparation ou de manéges secrets, mais bien par l’union de tous les sentiments, il advint que dix·huit votes se portèrent sur la personne du cardinal Bellisomi, évêque de Césène et autrefois nonce en Portugal. C’était un cardinal généralement aimé et estimé, non moins pour la douceur de son caractère que pour la pureté de ses mœurs, sa probité et ses connaissances. Cette réunion imprévue de tant de votes en sa faveur tit remarquer que, comme il lui manquait fort peu de voix pour former le nombre nécessaire à son élection, la plus petite conquête parmi ceux qui ne lui avaient pas accordé la leur sullirait pour faire monter les sulfrages au chitfre voulu. Cela était d’autant plus facile , croyait-on , qu’il s’agissait d’un homme estimé, aimé et qui n’avait point d`ennemis.

Plusieurs cardinaux commencèrent donc sans s’ètre entendus à dire à leurs voisins et à leurs confidents qu’à peine ouvert le Conclave touchait à sa tin, et que le nouveau Pape pouvait très bien être acclamé le lendemain dans la personne de celui qui avait eu tant de voix, si l’on s’assurait des électeurs qui n’étaient pas parmi les dix-huit. On répondit que cela ne souffrait aucune difficulté. Bientôt le nombre de ceux qui adhérèrent dans les conversations privées s’éleva tellement, que le chitïre dont on avait besoin fut dépassé, et dans tout le Conclave on annonça la nomination du cardinal Bellisomi pour le jour suivant.

Cet événement plongea le cardinal Herzan dans la plus profonde anxiété et l’excita à faire tous ses efforts pour empécher, ou tout au moins pour différer l’exécution de ce dessein. Afin de comprendre les motifs qui le dirigeaient, il faut remonter à la source et exposer le principe d’où il partait.

Il faut savoir que le but de la cour de Vienne dans le choix du nouveau Pape était de s’assurer, en tant qu’il lui serait possible, la tranquille possession des trois légations. Elle les avait dernièrement acquises après la bataille de la Trebbia, lors de la retraite des Français. Ceux·ci en avaient arraché la cession au Pontife défunt, dans le traité de Tolentino. On eut œmsuite sur les intentions de l’Autriche, je ne dirai pas les plus clairs indices, mais encore les preuvœ les plus décisives, les plus évidentes. Pour arriver à ses fins, la Cour impériale désirait un pape qui contirmàt en sa faveur la cession imposée à Pie VI, ou tout au moins qui n’y mit pas opposition quand l’ancien état de choses se rétablirait. Or les revers de l’armée française faisaient espérer et même rendaient certainement prochaine cette restauration en Italie.

Le cabinet autrichien, considérant que le cardinal Mattei avait négocié et signé le traité de Tolentino, s’imagina qu’il pourrait moins que tout autre l’attaquer et chercher à le réduire à néant. Se figurant que Mattei condescendrait à sa volonté, il tenta de le faire nommer Pape à l’exclusion de tout autre. On alla jusqu’à dire que la cour de Vienne s’était déjà assurée des favorables de ce cardinal, même avant son entrée au Conclave. je n’ai pas à ce sujet de notion ou de preuve proportionnée à l’inportance du soupçon; toutefois, l' éminente piété du cardinal me fait croire que ces bruits étaient faux, on tout au plus occasionnés par une parole assez peu réfléchie de Mattei, que dans le cas de son élection, de plus vives lumières ou de plus mûres inspirations l' auraient empêché de tenir.

Cependant la Cour impériale avait enjoint au cardinal Herzan de favoriser par ses soins l' élection du cardinal Mattei, donnant, si je puis parler ainsi, une exclusive à tous les autres. D’après ce que je viens de dire, il est facile de comprendre à quel point Herzan fut troublé, quand il vit Bellisomi à la veille d’ètre élu. Ce prince de l’Église ne plaisait aucunement à l’Autriche, malgré sa qualité de sujet, — il était né à Pavie. — Cette circonstance, en toute autre occasion, eût été très·appréciée. Elle aurait suscité des obstacles plutôt de la part des cours rivales de Vienne que de ce cabinet lui-mème. Mais les ordes intimes à Herzan étaient trop précis pour qu’il se crût autorisé à ne pas s’y conformer d`une manière absolue. Il arriva fort inquiet auprès du cardinal Albani,
doyen du Sacré·Collége, et dans un discours très habile et fort étudié , il lui représenta combien nécessaire était aux intérêts et a Favantage du Saint-Siege que le nouveau Pape fût très-agréable à l’Empereur, qui possédait presque tout l’État de l’Église, et dont il importait tant de capter la bienveillance. La personne du cardinal Bellisomi, bien qu’ ornée des qualités et des prérogatives indispensables, n’était pas, croyait-il, celle qui, de préférence à une autre, serait acceptée par Sa Majesté. Herzan ajouta qu’il savait en outre de source certaine combien plus agréé serait le cardinal Mattei, Il fallait donc que Son Éminence, en sa qualité de doyen du Sacré-Collége et en vertu de son crédit, influàt dans l’intérêt de l’Église et pour le plus grand avantage du Saint-Siege, sur l’esprit des Cardinaux, pour qu’ils unissent leurs forces aux siennes afin de faire réussir l’élection de Mattei au lieu de celle de Bellisomi ou d’un autre. Albani répondit à ce discours prononcé avec énergie et persuasion, que l’élection de Bellisomi, procurée sans aucun artifice et sans intrigue, mais sortie d'une entente surprenante des électeurs, ainsi que Son Éminence le savait, était si avancée par la multiplicité des votes et par l'efficacité des volontés, qu’il n’était plus possible de la contrecarrer; que les Cardinaux devaient le nommer le jour suivant et donner ainsi un nouveau chef àl’Église, qui en avait si grand besoin en ce moment; que d’ailleurs le sujet choisi étant si digne, de l’avis même de Son Eminence, il ne croyait pas qu’il lui fût permis de s’ opposer à son élection , d'autaut mieux que Son Eminence ne disait pas que Bellisomi pourrait être odieux à Sa Majesté, mais seulement qu’un autre lui serait plus agréable; que, connaissant la manière de penser et les sentiments des Cardinaux, il ne lui paraissait pas probable qu’on élût Mattei, non parce qu’il était indigne, mais parce gu'il ne serait point accepté par tous les électeurs, et qu’il avait trop de frères, de neveux et de parents à Rome, étant lui-même Romain et de famille aussi illustre que peu fortunée. Albani ajouta qu’en qualité de son oncle, il aurait dû éprouver plus que personne beaucoup de joie de son élection et la favoriser, s’il l’avait jugée possible; qu’il ne pouvait enfin se persuader que Sa Majesté n’agréàt pas l'élection d’un de ses sujets, et qu’en conséquence il priait Son Éminence de ne plus songer à l’empècher, mais bien plutôt de concourir lui aussi à donner, sans différer davantage, un sujet si digne pour chef à l’Église.

Herzan ne se rendit pas à ce raisonnement, et il répétait sans cesse ce qu’il avait dit d’abord. Le cardinal Albani, voyant ses efforts pour le persuader demeurer inutiles, prit le parti de le serrer de plus près, en lui demandant si, dans le secret de sa cour, on avait prononcé l’exclusive pour Bellisomi; que, dans ce cas, l’usage et les égards dus à la paix de l’Église pourraient faire penser à une autre élection, mais que sans cette exclusive formelle, Bellisomi serait Pape le lendemain, puisque déjà des cardinaux en nombre plus que suffisant s’étaient déclarés prêtsà joindre leurs votes à ceux des dix-huit. Qu’il ne restait plus qu’à accepter leur offre et à leur dire de la réaliser si l’exclusive n’existait pas. Alors Herzan se voyant acculé au pied du mur, et n’ayant pas en réalité l’exclusive de sa cour contre Bellisomi, puisqu’il devait seulement favoriser par son zèle l’élection de Mattei et empécher n’importe quelle autre, chercha à gagner du temps. Il espérait ainsi créer des difficultés qui rendraient impossible l’élection de Bellisomi, ou tout au moins, si cela ne pouvait avoir lieu, il voulait prévenir la chancellerie de Vienne et apprendre enfin si elle accueillerait son sujet de préférence à tout autre, dans le cas où Mattei serait rejeté. ll cherchait de la sorte à fournir à l’Autriche le temps et les moyens de capter l’esprit de Bellisomi par une marque d’estime préventive en sa faveur.

Herzan répondit au cardinal Albani qu’il n’avait pas l’ordre de signifier l’exclusive contre Bellisomi, tout en sachant que l’élection de Mattei aurait été infiniment plus agréable à Sa Majesté; que puisque celle·ci ne pouvait réussir et qu’il n’avait pas le pouvoir d’empécher l’autre, comme cardinal très-attaché au Saint-Siège et à ses intérêts, il croyait au moins devoir conseiller et supplier mème, s’il le fallait, tant, disait·il, était manifeste l’importance de cette affaire, de différer pendant onze ou douze jours l’élection de Bellisomi; que ce laps de temps suffirait pour permettre à un courrier qu’il allait expédier à l’Empereur de se rendre à Vienne et d’en revenir; qu’il voulait annoncer tout d’abord cette nomination à la cour impériale, et ne pas la lui faire arriver sans préparation aucune; qu’il lui semblait que cette marque de déférence était bien due àun prince tenant entre ses mains presque tout le domaine de l’Église, dans les États duquel siégeait le Conclave dont il
fournissait le local et payait les frais; que les Cardinaux hésitant à se prêter à satisfaire l’Empereur en choisissant Mattei, cette politessse envers Sa Majesté calmerait ou diminnerait le déplaisir d’apprendre qu’on n’avait pas eu égard à sa volonté; qu’en somme, les Cardinaux ne sacriliaient rien ou très-peu de chose par un si bref délai accordé, et qu’il en résulterait un notable bénéfice par la bienveillance que Sa Majesté témoignerait au nouveau Pontife et aux intérêts du Saint·Siége.

Le cardinal Albani commença à céder à cette proposition. La seule objection qu’il souleva fut la crainte de voir se former, naturellement ou par intrigue pendant ces jours de délai, un parti dans le Conclave, parti qui tendrait à faire avorter l’élection si admirablement préparée. Herzan répondit aussitôt qn’il ne se contentait point de s’engager verbalement à ne pas former une semblable opposition , mais qu'il promettait encore, dans le cas où d’au tres comploteraient, de ne pas les imiter, et que les cardinaux considérés comme les plus attachés à sa cour suivraient cet exemple. Herzan alla jusqu'à dire qu’ils auraient même tous joint leurs votes aux dix-huit voix de Bellisomi.

Se fiant’à cette promesse, Albani prit sur lui d`obtenir des Cardinaux le délai de onze ou douze jours sollicité par Herzan pour l' expédition de son courrier à Vienne. Après en avoir parlé aux Cardinaux avec son éloquence ordinaire et le crédit dont il jouissait auprès d’eux, il obtint en etfet ce délai; et Herzan, très-heureux de sa victoire inespérée, tit ce qu’il avait proposé.

Une démarche aussi fausse, une erreur aussi grave commises par le cardinal Albani et par tous les Cardinaux qn’il avait su persuader, provoquèrent de tristes réflexions dans l’àme de ceux qui en reconnnrent immédiatement la portée. De pareillesmanœuvres amenèrent les conséquences qui devaient en etre l‘ell`et nécessaire et indispensable. Dans les discours que plusieurs (et je puis bien dire tous, sans exagération) tinrent à ce sujet, on regarda cette manière d’agir comme sans exemple jusqu’alors. Jamais on n’avait vu permettre à un ambassadeur d’ expédier un courrier pour interroger le bon plaisir de son gouvernement, le prévenir et lui laisser le temps et les moyens de faire savoir au sujet proposé qu’il lui devait le Pontilicat. Jamais, dis·je, on n’avait vu cela , surtout quand l’excIusive n’était pas prononcée, que les votes ne manquaient pas et même qu’ils étaient plus qu‘abondants pour l’élection, que la personne choisie jouissait de l’estime et de l’amour de tous, et qu‘elle était digne du haut rang auquel on allait l’élever.

Les Cardinaux remarquèrent aussi que, de toutes les cours, la Cour impériale était celle avec laquelle on aurait dû se garder le plus de tenir une pareille conduite. Dans la succession des temps , et quand le souvenir de ces circonstances particulières et de la déférence impolitique du Sacré·Collége aux demandes d’un ministre serait perdu, on pouvait craindre de fournir des prétextes pour faire revivre l’ancien abus de solliciter la permission de César avant d’installer le nouveau Pape. Mais on rélléchissait encore à un péril plus grand et presque certain. Ce délai, si malheureusement accordé, pouvait donner lieu à des changements parmi les électeurs eux-mêmes, soitnaturellement, à cause de la mobilité de l'intelligence humaine, soit subrepticement, par les soins de ceux
qui ne voulaient pas de Bellisomi pour Pape. Souvent on avait vu de ces revirements causés par des délais beaucoup plus courts. On regarda de tous côtés la condescendance d’Albani comme un effet habituel de sa faiblesse et de la légèreté avec laquelle il traitait les aüaires les plus graves. Ce cardinal possédait à un très-haut degré ces deux défauts si dangereux, et il les unissait aux talents naturels qui le distinguaient et au crédit que ces talents eux-memes, sa naissance, son ancienneté, son éloquence, les grâces de sa conversation, et d’autres vertus, lui avaient acquis dans le Sacré-Collége et dans le public. Si ces réflexions sur la fatalité de cette déférence étaient vraies et fondées, il faut l’avouer, les conséquences que l’on redoutait ne furent malheureusement, elles aussi, que trop véritables.

A peine le courrier autrichien eut-il quitté Venise, que Herzan s’empressa de profiter de cet intervalle pour former une faction qui, en empêchant le nombre des votes d’augmenter, rendit impossible l’éIection de Bellisomi. Toutefois , les dix-huit voix attachées à ce cardinal s’acerurent dans les scrutins qui continuaient chaque jour, et elles arrivèrent jusqu’à dix-neuf et même jusqu’à vingt et une. Herzan manquait, disons·le, des talents ct de la sagacité indispensables pour réussir dans cette occasion. J’ajouterai méme, afin de rendre hommage à la vérité, qu’il manquaitpeut·ètre aussi d’une volonté bien ferme de réussir dans ce premier moment. Sa parole de ne pas former ou exciter un parti contraire à l’élection de Bellisomi était de quelque poids dans son âme religieuse. Il se contentait d’avoir servi sa cour d’une certaine manière, par le délai qu’il venait d’obtenir, et en lui fournissant le moyen de s’attacher le nouveau Pape on de recourir aux expédients qui lui plairaient davantage. Mais le hasard, qui gouverne toutes les choses humaines, ou, pour mieux dire, la Providence, qui, par ses vues secrètes , dispose des événements selon
ses désirs, permit que d’autres, plus habiles et plus madrés que Herzan, lissent ce qu’il n’aurait jamais pu ou en accomplir....


 

 

 

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May 24, 2014 10:31 AM

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