SEDE VACANTE 1669-1670

December 9, 1669—April 29, 1670



Baron Carl Nils Daniel de Bildt,   Christine de Suède et le Conclave de Clément X (1669-1670)  (Paris: Plon 1906),  230-235 no. 2:

 

Christine of Sweden to Cardinal Azzolino

(January 18, 1670)



J' ai tant de choses à vous dire que je ne sais pas où commencer.  J’ai passé toute la journée d’liier et une partie de la nuit avec les Français et le reste de la méme nuit a[vec] les Espagnols. Pour commencer donc ma relation, je vous dirai que j’ai désabusé les Français non seulement de toutes les somettes qu’avait tâché de leur inspirer Caderousse, mais je leur ai fait voir clairement l’état du Conclave. Retz m’avoua qu’il ne savait rien des intentions  [du] roi de France, et qu’il était venu ici sans que l' ambassadeur lui eût jamais rien dit, disant que c’était à présent le style de la Cour; qu’il croyait que l' ambassadeur lui dirait à présent ce qu’il aurait à faire, et là–dessus il me dit tout ce qu’un homme tel [que] Retz est capable de dire en la conjoncture présente. L’ambassadeur me parla plus en détail et me dit qu’il était l’liomme du monde le plus embarrassé et ce que j’avais dit au cardinal de Retz et Bigorre l`avait encore plus embarrassé. Je lui dis que tout ce que j’avais dit était la vérité pure et quelqu’autre peinture qu’on lui aurait faite serait contraire à la vérité. ll me dit qu’il en était persuadé, et qu’il allait brûler toutes ses instructions, qui ne lui pou vaient plus servir de rien, puisqu’il était obligé de m’avouer qu’elles étaient fondées sur l’union de Chigi avec Rospigliosi et Azzolino, lesquels on supposait qu’ils étaient inséparables. "Et sur ce fondement," me dit-il, "j’écrivais aux cardinaux Chigi et Azzolino les lettres que je leur ai écrites, et je voudrais qu’il m’eût coûté quelque chose de n’avoir jamais écrit à Cliigi, car considérez quel malheur est le mien quand j’écris à un homme que ma lettre trouve ligué avec les Espagnols. Cela m'a fort décontenancé."

Je lui dis que cela n’était rien et qu’il ne fallait pas s’embarrasser de cela; que c’était la bonne fortune de l’ambassadeur de France qui voulait le séparer du mauvais destin de Chigi, et lui donner la gloire de faire un Pape qui reconnaîtrait son élection de sa main. Là–dessus je commençai à lui exagérer les forces de la confédération qu’on avait faite contre Chigi. Je lui dis ce que j’avais déjà dit au cardinal de Retz, mais je vis qu’il prit plaisir de me le faire redire. Je lui dis donc : « Vous trouverez l’Escadron plus uni que jamais, ayant à présent encore plus d’honneur, plus d’esprit, plus de courage qu’ils n’ont jamais eu; ils sont à la tête de tout le reste, unissant, fortiliant Barberino et Rospigliosi avec tout le reste des Cardinaux, et c’est Azzolino qui ordonne, dispose et fait tout, faisant semblant de ne faire rien ». Là·dessus nous entrâmes en la discussion et l'examen des Cardinaux papables. Nous parlames d’abord de d’Elci et Celsi, Il me dit sans balancer qu’il était obligé de se déclarer contre d’Elci, et que le Roi de France l[ui] ayant donné l’exclusion dès le conclave passé, il était résolu d’y continuer. Pour Celsi, on n’a rien contre lui, mais que, puisqu’il voyait que vous autres ne le voulaient, qu’il concourrait avec vous de bon cœur avec une entière résignation sur son sujet. Je lui dis qu`il n’était plus question de l°exclusion de d’Elci et [de] Celsi; que c`étaient des gens perdus, et que toute la puissance du Roi de France et du Roi d’Espagne unie ensemble serait faible et inutile en faveur de leur élection. Il en demeure d’accord, d’autant plus que je lui dis que je croyais qu`il n’était pas venu pour souscrire aux décrets de Fambassadeur d’Espagne. Cette pensée fit son effet, et il m’assura qu’il avait ordre positif de faire l’exclusion à d’Elci et de concourir avec l’Escadron en toutes celles qu’il voudrait faire. Je louai fort là-dessus la prudence du Roi de France et le priai d’ètre persuadé que, pour l’exclusion, l’Escadron n`avait que faire des Français ni des Espagnols, et qu`il n’etait plus question de cela, mais qu'il était question de leur porter l’inclusion, aussitôt qu’ils se seraient unis avec la faction de France et que la gloire de l’élection en reviendrait au Roi de France.

Là–dessus nous continuâmes à parler des sujets capables d’lélection. L’ordre nous porta sur Bonvisi. Je lui dis, après lui avoir demandé de quelle manière ilétaitavec eux, il me dit, qu‘ils n’étaient ni bien ni mal avec lui, mais il me demanda là-dessus si je croyais qu’il pouvait réussir. Je lui dis que je croyais que non, pour les raisons que vous m’aviez dites dans votre billet. Il me dit qu’il en était persuadé aussi bien que moi, et qu’il croyait de plus que Chigi ne le veut pas, et [là–]dessus il me parla du neveu de Bonvisi comme d'un homme qu’il appréhende. Je lui dis là-dessus ce que l`ambassadeur d'Espagne a dit sur son sujet, et outre cela je lui dis qu'il ne bougeait de chez l' ambassadeur d`Espagne, et que l`élection de Bonvisi n'était portée que par ceux de la faction d’Espagne. Je lui contais tout cela fort naturellement et sans témoigner aucun dessein, et il me sembla que cela fit l’effet que je désirais. Là-dessus lui·mème nomma Vidoni.   Je lui dis là·dessus que d`être créature de Chigi était pour lui un grand obstacle, qu'outre cela il était sujet du roi d’Espagne et aurait par conséquent une secrète exclusion des Espagnols qui ont cette infatuation en tête d`ôtre sujets à de grands malheurs sous la domination d'un pape de leurs sujets. Là–dessus je lui allégeais les histoires passées, outre cela que je croyais que Chigi ne concourrait jamais à un homme de qui il recevait publiquement les pasquinades dans le conclave. ll me demanda là–dessus avec admiration si cela était possible et me dit   «Serait-ce un si grand mal que de faire un pape malgré Chigi et les Espagnols?»   Je lui dis que c’était à lui de voir si Vidoni méritait un tel effort. Il me demanda en quel état il était avec l’Escadron. Je lui dis que je ne le savais pas, que néanmoins je me doutais qu’étant de la masse réprouvée [the Chigi faction] il courrait le méme risque que les autres. Il me dit là-dessus « Quoi, vous croyez donc qu’aucune des créatures de Chigi puisse réussir? » u Je ne vous dis pas cela, » dis-je, u mais je crois bien que s’iI arrive qu’on se lasse de faire l’exclusion, comme on se lasse de toutes les choses du monde, en ce cas je ne crois pas qu’on s’en lasse en faveur de Vidoni. Je croirais plutôtqu’on pensàtù quelque autre. » Il me dit lù—dessus : « Quoi, il y a·t-il d`autres prétendants dans la faction Chigi? Je croyais les avoir tous nommés ». Je lui dis là-dessus: u Est-il possible que vous ignoriez que dans la faction Chigi il y a vingt·deux hommes et vingt- cinq papes‘?» ll se mit in rire. Là-dessus je lui nommai Bonelli et le regardais exprès un peu malicieusement. Il y prit garde et me dit: « Je pense que vous avez lu mes instructions. »   Je me mis à rire et lui répondis :   « Sans les avoir lues, je pense savoir ce que vous pensez livdessus. vr ll m’av0ua qu'il n’y pouvait consentir. Là-dessus je lui dis: u Vous faites bien de me le dire et je vous conseille de vous confier entiérement à Azzolino et de lui ouvrir votre cœur, car je suis persuadée que quand on connaitra ceux pour qui vous avez quelque chagrin, comme on a le dessein de vivre bien et en bonne intelligence avec vous, on ne prendra pas des engagements qui vous soient désagréables, et on donnera les mainsà tout ce que vous voudrez et à ce qui sera faisable. »

Il me répondit là-dessus :   « Et moi je ferai de meme, et je leur abandonne tous ceux qu`ils voudront, pourvu que je le sache.   « Là-dessus je lui demandai s'il abandonnerait Celsi et Bonvisi si vous le souhaitiez. Il me répondit : « Hélas, avec une résignation entière. Qu’iIs les noient, qu'ils les pendent s'ils veulent! J`y souscris de tout mon cœur. » Là·dessus il me dit qu`outre Barberino il y avait Facchinetti, Caraffa et llonelli. A ces trois il avait ordre de donner des secrètes exclusions. Lù·dessus il commença de faire un peu le franc, disant que, pour l’excIusion, il était en état de la maintenir toujours. Je répondis qu’il fallait le lui avouer, mais à condition· qu’il se joigne à l’Escadron, car s'il prenait malheureusement pour lui le parti de Chigi,je ne lui répondrais de rien, et moins de Facchinetti que d`aucun, d`autant plus que sur son sujet sa propre faction lui manquerait. Il me llavoua. Il me dit là·dessus : « Mais si je pouvais réunir Chigi avec I'Escadron, que vous semblerait-il de ce dessein?»   Je lui dis:  « Le dessein est grand, il est beau, et je suisravie de voir qu`un ambassadeur de France passe les monts et [les] fleuves pour venir travailler à l'union des Espagnols avec l’Escadron. Ce sera en faveur de Celsi ou de d’Elci, que vous excluez. »  Cette réponse le surprit et le décontenança un peu, mais il se remit aussitôt et me dit : a Vous avez raison; mais mon dessein est de tirer Chigi [d’] entre les mains des Espagnols. Je lui dis : « Vous avez raison, mais d’autres ont travaillé à ce dessein aussi bien que vous, et vous ne réussirez pas mieux que moi. » Là·dessus je lui racontai tout ce que j`avais fait inutilement pour faire connaître son erreur à Chigi. La-dessus nous nous séparâmes, car il était tard, et je devais encore recevoir le cardinal de Bouillon, qui est un très honnête homme et fera honneur au S. Collège, tout jeune qu’il est.

Après cela il me reste à vous dire mes sentiments sur le sujet de l'envoi de l'ambassadeur de France et de ses desseins, qui sont si je ne me trompe :
I) D'étre uni avec l‘Escadron et la faction Rospigliosi;
2) De ménager Chigi, mais je crois qu’après qu’on m'a parlé ce dessein est très affaibli et s’affaiblira tous les jours plus;
3) On n’a rien contre Vidoni. Je me trompe fort s’il est pourtant le favori, car c`est Brancaccio et Bona, selon toutes les apparences, mais si l'Escadron et Rospigliosi consentiront à Vidoni je vois bien qu' on y donnera les mains de bon cœur;
4) J’ai encore remarqué que l’union de Barberino avec l'Escadron les choque un peu et épouvante les Français, et contribue un peu au penchant qu’on leur a voulu donner vers Cliigi. Cet avis est important et vous servira merveilleusement. Je l’ai arraché du cœur de Pambassadeur de France malgré lui. J ’ai apporté à ce mal tous les remèdes qui m`ont été possibles sans témoigner de le connaitre et j'espère de n`avoir pas perdu mon temps;
5) On se flatte aussi sur Pascendant que Chigi a sur l’esprit de Rospigliosi, et on espère de détacher Rospigliosi de Barberino et de l’Escadron tôt ou tard et lui faire faire ce que Chigi voudra. J’ai apporté à ce mal aussi les remèdes le plus adroitement qu’il m'a été possible, et sans faire semblant de m’en apercevoir. J’ai dit fort naturellement que j’appréhendais que Chigi ne disposât à la fin Rospi gliosi en faveur de d`Elci, car pour Celsi j'étais assurée que Respigliosi n’y consentira jamais, et je me suis aperçue que ce discours Fit l’effet que je souhaitais sur l’esprit de l' ambassadeur de France;
6) Et en dernier lieu j'ai conçu qu’ils seront ou par amour ou par force unis à vous et à l'Escadron, pourvu qu'ils se puissent assurer que ni Barberino, ni Facchinetti ni d’Elci ni Bonelli ne soient pasvos papes. Je leur ai dit que pour s’en assurer il fallait s'unir à vous par l’estime et la confiance, et qu’en agissant de cette manière on serait l’arbitre de l’élection, mais qu’en cas qu’on prit le contre-pied, je ne répondrais de rien. Voilà tout ce que j’ai pu tirer dans cette première audience. Je voudrais que cela vous serve de quelque chose et que vous fussiez tous contents de moi. J’oubliais de vous dire qu’en parlant de la division apparente de Chigi et des Espagnols il m’en demanda mon sentiment. Je lui dis là-dessus qu’il fallait considérer cette désunion de deux manières; qu’en la considérant comme une feinte je croyais qu’on s’en était avisé pour faire donner les Français dans le panneau sur le sujet de d’Elci, [de] Celsi et de Bonvisi , qui était le pape des Espagnols et de Chigi. Que si c’était une vérité comme cela pouvait étre, il fallait s’imaginer que les Espagnols ne quittaient Chigi que parce qu’il était de leur intérêt de quitter un parti à la ruine duquel ils tâchaient sagement de se soustraire: que leur exemple devait servir utilement aux Français pour profiter de leur erreur, soit qu’ils s’en repentent ou non. ll me témoigna de goûter fort ce raisonnement, et j’ai osé me flatter de l’avoir persuadé. Je voudrais vous avoir donné contentement et vous prie de me donner la joie de m’en assurer si j’ai mérité votre approbation.

Adieu, je vous envoie une lettre de Zetina. Je me réserve à vous faire une relation à part sur son sujet. Tout va bien. S’il plaît à Dieu, j’ai bien des nouvelles à vous donner, mais je ne puis, car je n’en puis plus. ll faut que je mange un morceau, et je vous écrirai.


(Sans signature.)




Azzolini Archive. unsigned autograph

 

 

 

July 9, 2014 8:30 PM                

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