SEDE VACANTE 1669-1670

December 9, 1669—April 29, 1670




Gabriel Hanotaux (editor), Recueil des instructions données aux ambassadeurs et ministres de France: Rome. Tome Premier (1648-1687) (Paris 1888) 228-242:

 

Instructions of Louis XIV for the Duc de Chaulnes

(December 22, 1669)


MÉMOIRE DU ROI POUR SERVIR D' INSTRUCTION AU SIEUR DUC DE CHAULNES, PAIR DE FRANCE, S'EN ALLANT EN QUALITÉ  DE SON AMBASSADEUR EXTRAORDINAIRE À ROME. — 22 DÉCEMBRE 1669.

Le Roi ayant appris, par une dépêche du sieur de Bourlemont du 30 novembre, l’extrémité de la maladie de notre saint-père le pape lequel avoit, dés le jour précédent, communié pour viatique
et, deux heures après, créé dans son lit huit cardinaux et fait au sacré-collège assemblé dans sa chambre une exhortation sur l’élection de son successeur, en même temps que Sa Majesté a été touchée d’un très sensible déplaisir de la perte qui paroît inévitable d’un si grand et si bon pape qui l' a comblée de tant de grâces dans le cours de son pontificat, Sa Majesté s’est d'abord appliquée aux affaires du prochain conclave et à la nouvelle élection pour avoir la gloire et la part qui est due au fils aîné de l’Eglise dans une action de tant d’éclat et si importante à toute la chrétienté.

La première résolution qu’elle a prise a été d’envoyer ses ordres à MM. les cardinaux Grimaldi et de Retz et de les donner ici à M. le cardinal de Bouillon, de se mettre sans aucun délai en marche pour aller à Rome avec la plus grande diligence que l’état de leur santé leur pourroit permettre, et y entrer dans le conclave lequel probablement sera déjà fermé et où ils trouveront les autres cinq cardinaux de son parti : Este, protecteur des affaires de France, Antoine Barberin, Ursini, Maidalchini et Mancini.

Sa Majesté ayant ensuite considéré que souvent la puissance d’un parti ne consiste pas tant au nombre ni même au zèle ou à l’habileté de chacun de ceux qui le composent qu’à la bonne intelligence et à l’union qu’ils gardent entre eux et plus encore au choix de la personne qui les doit diriger au dehors, Sadite Majesté a vu que dans tout son royaume il n’en pouvoit faire de meilleur ni même de beaucoup près approchant pour cet emploi là du dehors, qu’en envoyant une seconde fois à Rome ledit sieur duc de Chaulnes avec le même caractère de son ambassadeur extraordinaire pour l’occasion de ce conclave. Sa capacité en toutes sortes d`affaires, son adresse qui lui fit bientot acquérir tout crédit sur l’esprit du pape Clément IX, la connoissance qu’il a plus récente et plus parfaite qu’aucun autre de la cour de Rome, des intérêts et inclinations de tous ses principaux sujets, l’étroite amitié qui est entre le cardinal Rospigliosi et lui, les mesures qu’il a prises et qu’il n’a pas besoin de répéter ici, avec les cardinaux Chigi et Azzolin pour une occurrence pareille à celle dont est question, l'expérience qu’il s’y est acquise par une si glorieuse épreuve dans le dernier conclave et enfin la croyance qu’auront en lui tous les cardinaux serviteurs du Roi sont toutes raisons qui ne laissent pas douter un instant de l’incomparable prudence de Sa Majesté dans le choix qu’elle a fait dudit duc.  Aussi se promet-elle de son voyage un succès infailliblement très avantageux à sa gloire et à son service, pourvu qu’il ait le temps d’arriver avant que l’élection du nouveau pape ait été faite, et, à dire le vrai, quand on considère que le parti de Sa Majesté par l’entrée des trois autres cardinaux françois dans le conclave s’y trouvera aussi puissant en nombre que l’est le vieux collège sous son chef le cardinal Barberin, il semble que Sa Majesté n’avoit plus à désirer que la parfaite union et la bonne direction de son parti qui sont à la vérité deux grands effets, mais qu’elle a tout sujet d’attendre du voyage du duc, pour faire que Sadite Majesté non seulement soit maîtresse des exclusions en se rangeant à propos à d’autres partis qui auroient le même intérêt de les faire, mais même qu’aucune inclusion ne puisse réussir sans que sa faction y ait eu la principale part.

L’unique fin que le Roi se propose dans cette occurrence et à laquelle Sa Majesté désire que ledit sieur duc recommande aux cardinaux ses serviteurs de faire tendre toutes leurs actions, c’est qu’il se puisse faire une élection désintéressée et qui n’ait autre égard que celui du service de Dieu, de son Église et du bien public et enfin que l’on puisse avoir un pape dont les intentions soient détachées de toute passion particulière, qui aime la justice, l’avantage du Saint-Siège, ait les sentiments d’un vrai père commun, qui connoisse la sincérité et la piété de ceux du Roi pour l’avantage dela religion et lequel enfin, ayant toutes les parties requises pour être aimé, estimé et honoré des princes chrétiens puisse régir et gouverner la sainte Église avec fruit et édification de tous les fidèles et s’employer efficacement et utilement pour la défense de la chrétienté contre l’ennemi commun.

La France en tout temps a été bien éloignée de ces prétentions d'esclavitude où d’autres nations ont toujours voulu tenir les papes; personne n’ignore les mauvais traitements qui leur ont été
faits et par qui, quand ils n’ont pas voulu accorder leurs demandes toujours réglées sur leur intérêt particulier et peu souvent par la raison. Le Roi ne veut rien d’injuste ni d'extraordinaire, aussi ne désire-t-il de voir assis dans la chaire de saint Pierre qu’un homme de bien qui ait les intentions droites et assez de force pour les mettre à fin et, en ce cas-là, il n’y a respect ni soumission filiale que Sa Majesté ne lui rende très volontiers comme à un bon père ni bien ni avantage qu’elle ne soit ravie de procurer non seulement au Saint-Siège et à l’Église, mais aux parents même de Sa Sainteté. Enfin Sa Majesté ne souhaite autre chose si ce n’est que le pape qui sera élu puisse connoître véritablement le fond des cœurs et des intentions des uns et des autres parce que, cela étant, elle ne peut pas douter qu’elle n’en soit toujours traitée en vrai fils aîné de l’Église comme elle l’est. Sadite Majesté, à limitation de ses prédécesseurs, ne prétend point violenter par moyens illicites les suffrages du sacré-collège ni empêcher en quoi que ce puisseètre la liberté du conclave ; au contraire, elle sera toujours prête, s’il en étoit de besoin,d’envoyer ses forces pour établir et protéger cette liberté.

Ledit sieur duc aura soin d'assurer les créatures du pape Urbain VIII et de le leur faire encore confirmer par M. le cardinal Antoine que le Roi, qui conserve toujours une vénération particulière pour la glorieuse mémoire de ce digne pape, désire fort qu’une d’entre elles puisse étre élevée au pontificat et qu’il les appuiera tous pour cela de son crédit, estimant beaucoup leur mérite et s’assurant qu’ils suivront volontiers l’exemple que leur bienfaiteur leur a donné, de chérir cette couronne par-dessus toutes les au tres.

En même temps ledit sieur duc fera entendre par quelque moyen aux cardinaux de la faction pamphilienne qu’ encore que Sa Majesté n’ait aucune obligation a la mémoire d’Innocent X, ni aucun sujet d'étre satisfait de son pontificat, néanmoins cette considération n’a fait aucun préjudice à ses créatures auprès de Sa Majesté, laquelle est très bien informée que ledit pape Innocent auroit beaucoup mérité de l’Église s’il s’étoit aussi bien acquitté du devoir d’un bon pape en toutes autres choses qu’il l’a fait dans les promotions de cardinaux, ayant toujours élevé les sujets qui notoirement dans la cour de Rome en étoient alors reconnus pour les plus dignes et partant que Sa Majesté ne consentira pas seulement a leur exaltation, mais la favorisera aussi de tres bon cœur aux occasions qui s’en offriront en ce conclave.

Pour la faction du cardinal Chigi, ledit sieur duc prendra soin aussi de leur donner ou faire donner les mêmes assurances de bonne volonté de la part du Roi et qu’il ne tiendra pas a Sa Majesté que le nouveau pape ne soit élu dans leur corps, Sadite Majesté estimant beaucoup le mérite de tous et voulant bien concourir de son autorité à leur exaltation selon les occasions qui pourront s’en présenter.

Le pape Clément IX que Sa Majesté souhaite avec passion que Dieu veuille avoir conservé encore quelque temps pour le bien de toute la chrétienté, a vécu avec elle d’une manière et lui a fait et à sa couronne tant de grâces de toute nature que Sa Majesté ne croit pas en pouvoir jamais assez témoigner de reconnoissance envers le cardinal et toute la famille Rospigliosi. Quand, après tous les divers indults accordés que tous les autres papes avoient refusés et dont la France dans la suite des temps retirera tant d'avantages, Sa Sainteté eut encore la bonté d’avancer la promotion de M. le cardinal de Bouillon et par ce moyen, non seulement se priver d’un chapeau qu’elle pouvoit donner à l’un de ses propres neveux ou à quelque autre de ses créatures, mais en perdre aussi un second qu’elle se crut obligée de donner à l’Espagne en même temps, pour avoir lieu de contenter en cela Sa Majesté sans se départir des termes d’un bon père commun entre ses deux premiers et plus chers enfants, Sa Majesté, avec beaucoup de justice, ordonna au sieur de Lionne d’écrire de sa part au cardinal Rospigliosi que bien loin qu’en obtenant du pape cette grâce, il eût perdu deux chapeaux comme il paroissoit dans le public, elle vouloit que ledit cardinal en eût gagné huit à son entière dévotion parce que, dans toutes les occasions de conclave, la faction de Sa Majesté auroit un ordre précis et indispensable de s'attacher inséparablement àtoutes ses volontés dans l’élection des papes. Ledit sieur duc de Chaulnes renouvellera la même parole audit cardinal ou, s’il est déjà enfermé dans le conclave, la lui fera renouveler par les cardinaux de Retz et de Bouillon quand ils y entreront, et ne se contentera pas de ce compliment, mais accomplira par des efïets réels cette promesse autant qu`il sera en son pouvoir, d’autant plus que, dans l’élection d’un pape, l’intérèt du Roi n’est pas si grand de voir exalter un sujet plutot qu’un autre qu’il ne puisse facilement et sans se faire aucun préjudice de considération, sacrifier cet intérêt-là à ceux que se trouvera avoir la famille Rospigliosi, soit pour sa gloire, soit pour son avantage ou pour sa sûreté.

De tout le contenu en ce dernier article, ledit sieur duc pourra conclure combien Sa Majesté souhaite que le nouveau pape soit plutot élu dans la faction du cardinal Rospigliosi que dans aucune autre par le seul égard qu’elle a aux avantages dudit cardinal, et qu’ainsi rien ne sauroit être plus sincère que le compliment que ledit sieur duc fera là-dessus à ses créatures dont heureusement deux ou trois sujets se trouvent fort papables, comme on dit, et par leur mérite et par leur âge, et par leurs emplois passés.

Le Roi persiste encore dans la mème résolution qu’il prit sur le sujet du dernier conclave de ne faire l’exclusion formelle et ouverte à aucun cardinal que le plus grand nombre des autres, veuille exalter. Ledit duc en verra les raisons bien étendues dans les instructions qui lui furent données alors : ainsi Sa Majesté ne la charge point, ni les cardinaux de sa faction de se déclarer contre l’avancement de qui que ce soit, ni de l’empècher formellement en son nom, bien pourr0nt·ils demeurer neutres et indifférents, et faire même des pratiques secrètes pour cela quand il sera question de tenir éloigné du pontificat quelque sujet qui ne sera pas jugé si capable, ou pour qui Sa Majesté n’aura pas tant d’inclination que pour d’autres, afin de tâcher après de faire tomber l’élection sur les plus dignes, car autre chose est d‘exclure ouvertement, et autre ne pas courir d’abord indistinctement à favoriser et vouloir exalter ceux pour qui l’on aura commencé des pratiques, qui est un terme de conclave.

Il n’y a que le seul cardinal Barberin que le Roi excepte de cette règle générale pour les raisons qu`il seroit fort superflu d’étendre ici, puisque ledit sieur duc de Chaulnes en est assez informé, mais, en même temps que Sa Majesté lui ordonne de faire en son nom ouvertement l’exclusion audit cardinal si le besoin en arrivoit, Sa Majesté croit ne le charger pas en cela d’aucun poids qui lui puisse donner de la peine ou de l’inquiétude. Ce cardinal s’étant lui-même formé tant d'obstacles pendant la longue durée du pontiticat de son oncle et depuis encore par la querelle qui arriva entre le prieur de Palestrine et dom Augustin Chigi, que l’on peut croire presque avec certitude que dans tout le collège, si on faisoit une véritable pratique pour lui, il ne se trouveroit pas six cardinaux qui voulussent lui donner leur suffrage.

Il y a un autre cardinal qui est d’Elci, que le Roi croit avoir intérêt de tenir éloigné du pontificat, non que Sa Majesté ait aucun sujet réel de se plaindre de lui et de sa conduite, ni d’aucun de ses proches, mais pour diverses circonstances dont un très grand concours sembloit obliger Sa Majesté et par prudence et même pour sa réputation à ne pas désirer voir et à ne pas souffrir qu’il soit exalté. Il est fils du comte Orso, autrefois principal ministre du grand-duc dans sa minorité, notoirement connu pour avoirété plus Autrichien pendanttoute la durée de son crédit que les Espagnols naturels même; le cardinal son fils a été imbu et élevé dans les mêmes maximes du père et toujours été pensionnaire des Espagnols et l’est encore aujourd’hui, a été nonce à la cour de l’empereur, doit son élévation à la continuelle protection que lesdits Espagnols lui ont donnée et est le sujet du sacré-collège qu’ils souhaitent de voir exalté préférablement à tous les autres. Il n’a jamais pris, ni ses parents, aucune mesure avec le Roi que par quelques compliments généraux faits de temps en temps à ses ambassadeurs. Il est souhaité en premier lieu et du sieur duc et du cardinal Chigi, et enfin, quand il sera élu pape, personne dans le monde ne croira que la France y ait sincèrement concouru quand elle l’auroit voulu faire, et par cette raison il n’entre pas seulement en ceci de l’intérèt de Sa Majesté, mais de sa propre réputation.

Il y a grande apparence par toutes les considérations qu`on vient de toucher que ceux qui voudront porter ce sujet au pontificat y feront tous leurs efforts avant l’arrivée dudit duc et des trois cardinaux françois sur la crainte qu’ils auront que le Roi ne lui veuille faire une exclusion ouverte, et partant que si ledit cardinal n’est pas élu des premiers jours du conclave, le plus grand péril de cette élection sera passé quand ledit duc arrivera. La prudence requerra néanmoins qu’il soit toujours bien alerte pour savoir ce qui se passera sur son sujet et en sa faveur et le trouver sous sa main autant qu’il sera en son pouvoir.

Une personne bien intentionnée et habile a mandé ici que, pour exclure ledit cardinal d’Elci, fort certainement, il suffira que le ministre du Roi fasse dire à l’oreille du cardinal Cbigi que Sa Majesté ne désire pas son élévation, et qu'après cela celui-ci n’oseroit passer outre. Le Roi remet à la prudence dudit duc de pratiquer ce moyen s’il le juge à propos ou tout autre qu’il estimera plus propre pour ruiner ses espérances sans paroître. Mais à toute extrémité Sa Majesté lui donne ordre et le pouvoir de lui faire, en son nom, une exclusion ouverte en cas qu’il puisse trouver un parti qu’il connoisse assez fort pour la soutenir par le nombre de suffrages qu’il faut nécessairement pour une exclusion, et ce parti-là ne paroît pas malaisé à former pourvu qu’on ne soit pas d’abord emporté comme par un torrent, parce que tous les vieux cardinaux et tous les autres prétendants ne manquent jamais de se joindre de bonne foi et avec plaisir à quiconque se rend chef d’une exclusion.

Après la matière des exclusions doit suivre celle des inclusions. Le premier en rang que Sa Majesté souhaiteroit de voir élevé au pontificat est M. le cardinal Albizzi, intime ami et confident de feu M. le cardinal Mazarin, personnage de grande érudition et fort adroit et habile à traiter les plus grandes affaires, qui a reçu secrètement, toutes les années, des bienfaits du Roi, homme résolu, actif et hardi, de grande vigueur et force d’esprit. Les difficultés de son exaltation seront vraisemblablement grandes, tant parce qu'il a des ennemis particuliers que sa liberté de parler lui a faites, qu’à cause qu’ayant été autrefois marié, il se trouve avoir bon nombre d’enfants et parce aussi que, pour l’ordinaire, le collège en général ne se porte guère à élever un homme ferme et hardi; mais il peut arriver des conjonctures et particulièrement dans la lassitude de la longueur d’un conclave, là où le parti du Roi le pourra peut-ètre servir utilement. Du reste les cardinaux serviteurs de Sa Majesté doivent se conduire en cela comme ledit cardinal Albizzi ou lui-même ou par ses amis leur fera dire qu’il le souhaite. Cependant ledit sieur duc de Chaulnes, à son arrivée à Rome, ne manquera pas de l’informer ou le faire informer par el ue cardinal de ce and effet de l’affection et de l’estime de Sa Majesté qui l’a mis à la tête de ceux qu elle souhaite de voir assis dans la chaire de saint Pierre.

Le second en rang est M. le cardinal Bonvisi; la plupart de ses ancêtres et de ses parents ayant suivi le parti de France, et s`y étant avancés dans des charges et le cardinal ayant toujours témoigné la même inclination, étant d’un esprit doux, aimé de tout le monde, hors du cardinal Barberin, qui est encore une raison pour lui souhaiter cet avantage: l’abbé, son neveu, ayant pris des mesures, ici au temps de la légation du cardinal Chigi, et depuis avec ledit sieur duc, et connoissant très bien que son oncle ne peut parvenir au pontificat que par l'obligation qu’il aura à Sa Majesté d’en avoir tenu éloigné le cardinal d’Elci.

Il est pourtant vrai de dire que le plus grand obstacle qui se trouvera à l’exaltation dudit cardinal Bonvisi, généralement aimé et estimé de tout le sacré-collège, sera celui que lui forme son propre neveu dont la cour de Rome craint l’humeur fière, jointe à une habileté non médiocre et qu`elle a remarqué qu’il fait profession des maximes de Tacite et Machiavel dont, assez imprudemment, il cite souvent des passages qu’il applique aux sujets dont il parle.

Cependant le cardinal Chigi qui a aujourdhui la faction la plus nombreuse s’expliquant comme on dit, et comme il est d’ail leurs à présumer qu’il ne sortira point en ce rencontre de ses créatures, et de celles-ci ne s’en trouvant que trois qui soient bien papables Elci, Bonvisi et Vidoni, toutes les autres ayant de très fortes exclusions, comme le Roi ne souhaite pas le premier, qu’il sera très malaisé par la raison qu’on vient de dire de porter le second au pontificat, il semble que Vidoni, seul de cette faction-là, est celui qui pourra le plus aisément réussir d ’autant plus qu‘il ne paroît pas encore qu’il ait aucun parent. Il est Crémonois, à la vérité, et, par conséquent, né sujet de la couronne d’Espagne, mais ce n’est pas une raison qui doive retenir le Roi de concourir à son exaltation, non plus qu’à celles de Litta et de Brancaccio, si l’occasion s’en offroit, car les Espagnols ontpour maxime. depuis le mal qu’ils reçurent du pape Paul IV qui étoit Napolitain, d’exclure plutot que de porter au pontificat les Italiens sujets de leur monarchie. D’ailleurs le cardinal Vidoni dans sa nonciature de Pologne s’attacha entièrement à la feue reine de Pologne et à suivre si bien en toutes choses ses sentiments même à l’égard de la France qu’il s’attira par là plusieurs mortifications du feu pape Alexandre. Sa Majesté désire donc, comme elle l’a déjà fait entendre depuis un mois par une voix secrète audit cardinal, que ledit sieur duc le serve efficacement et utilement, si l’occasion s’en présente, et qu’il lui fasse confirmer la mème chose par les autres moyens qu’il en pourra trouver; mais parce qu’il ne seroit pas à propos de restreindre l’inclusion à ces trois sujets seulement, se pouvant rencontrer de très grands obstacles à l’élection de chacun d’eux, Sa Majesté déclare qu’entre toutes les créatures du cardinal Rospigliosi, elle sera très aise aussi de l’élévation de messieurs les cardinaux Brancaccio, Ginetti, Carpegna, Celsi et Litta. On fera remarquer en passant audit sieur duc que Bonelli et Spada ne sont pas crus fort amis de la France et que le premier se laisseroit entièrement gouverner par le cardinal Imperiale, et le second est tout dépendant du cardinal Barberin.

La principale visée que ledit sieur duc se doit proposer est de tenir le parti du Roi bien uni et d’empêcher surtout qu’il n’arrive aucun différend entre M. le cardinal d’Este et M. le cardinal Antoine, faire que celui-ci ne communique rien avec le cardinal Barberin, et ne dire rien au cardinal Ursin qu’on ne veuille pas que le grand-duc ne sache et, sur toutes choses, qu’aucune élection ne se fasse ou il ne paroisse pas que le parti du Roi n’ait eu la part qui est due à Sa Majesté et, s’il est possible, la principale gloire.

Si l’élection se trouvoit faite avant que ledit sieur duc arrivât à Gênes, Sa Majesté trouve bon qu’il revienne de là, sans passer outre. Si cette nouvelle le trouvoit plus avancé que Gènes, elle croit à propos qu’il poursuive son voyage prenant prétexte d'aller se réjouir au nom du Roi avec le nouveau pape; mais, en effet, pour établir pendant quelques jours la bonne correspondance entre Sa Sainteté et Sa Majesté. Quant à son retour, Sa Majesté le remet purement audit sieur ambassadeur de revenir dès qu’il aura fait ce qu'on vient de dire.

Les bontés qu’a eues le pape Clément pour le Roi et pour sa couronne ont mis les affaires de Sa Majesté à Rome en un tel état qu’à moins qu’il n’en survienne des nouvelles entre ci et l’élection de son successeur, on ne trouve pas que ledit sieur duc ait occasion de parler au nouveau pape que de trois ou quatre affaires au plus qui soient de quelque considération.

La première est celle du sieur évêque de Béziers [Pierre de Bonzi] nommé à l' archevéché de Toulouse qui a enfin obtenu la nomination au cardinalat du roi de Pologne comme il avoit eu celle du roi Jean Casimir. Le courrier qui emporte la lettre au pape est parti de Vienne en Autriche, le 29 novembre, et comme il aura pu se rendre de la à Rome en six jours, il y a grande apparence qu’il sera arrivé avant la mort du pape et si le cardinal Ursin a fait son devoir de presser, sans perte de temps, l’audience de Sa Sainteté ou du cardinal-neveu pour leur présenter ladite lettre, on aura fait un grand coup pour ledit évêque de faire accepter ladite nomination par ce pape-ci qui a toujours déclaré qu’il le promouvroit au cardinalat dans la promotion des couronnes pourvu qu’il obtint ladite nomination, parce qu`un autre pape, sur cet exemple, ne sauroit plus refuser honnêtement au Roi de faire la même chose dont il auroit déjà eu la parole de son prédécesseur. Cette affaire donc peut avoir deux faces à l’élection du nouveau pape, l’une que la nomination de Pologne en la personne dudit sieur évêque eût déjà été agréée et acceptée, du vivant de Clément IX et, en ce cas, ledit sieur duc n’auroit qu’à demander de la part du Roi la confirmation de la même parole, ce qui vraisemblablement ne lui seroit pas refusé, surtout dans les premiers jours d’un pontificat où les papes étant encore dans la joie de leur exaltation ont accoutumé d’étre plus prodigues de leurs grâces qu’en d'autres occasions.

L’autre est si cette lettre de nomination n’a pu être présentée à temps à Clément IX; auquel cas ledit sieur duc faisant cette instance au nouveau pape en mettra toute la force sur la parole que le Roi avoit déjà. de son prédécesseur que, ledit évêque obtenant cette nomination, il le promouvroit dans la promotion des couronnes avec même autant de joie qu’il auroit eu à promouvoir son nonce s’il eût pu obtenir d’étre nommé; cette circonstance essentielle est de notoriété publique autant a Rome qu’en Pologne et pourra méme dans un besoin être attestée à Sa Sainteté par le cardinal Rospigliosi, à quoi ledit duc pourra après ajouter que le Roi n’attend pas de la bonté de Sa Béatitude un moins favorable traitement audit évêque que celui que son prédécesseur avoit déjà promis de lui faire et que Sa Majesté aussi en aura envers elle et les siens les memes ressentiments.

Sur cette même matière de l’intérêt de l’évéque de Béziers [He became cardinal in February, 1672], Sa Majesté estime à propos d’avertir ledit sieur duc que, quand on traitera de l’élection du cardinal Vidoni, il sera bon qu’il tâche de Vengager, s’il est possible, à promettre que venant à être exalté, il fera cardinal l’évêque de Béziers dans la première promotion, dont, s’il le veut bien, il aura un prétexte fort glorieux pour lui qui est que, comme tous les papes pour marquer leur gratitude ont accoutumé de rendre leur chapeau à celui qui le leur a procuré, Vidoni n’en ayant obligation qu’au roi Jean Casimir qui le nomma au cardinalat, il peut le rendre audit roi qui le mettroit sur son propre. compte, étant donné à l’évêque de Béziers, qu’il a voulu faire cardinal préférablement à. tout autre étant encore sur le trône.

La seconde affaire est celle de l’évêque de Laon [César d'Estrées, Bishop of Laon, 1655-1681; he was created cardinal in pectore in August 1671] qui a la nomination au cardinalat du royaume de Portugal. Étant toujours de la gloire et du service du Roi que le plus grand nombre de ses sujets qu’il se peut parvienne d’une maniere ou d’une autre à cette dignité, l’affaire peut aussi être considérée en trois différents états: la première, si le pape Clément n’est pas mort à l’arrivée dudit duc, il doit faire ses efforts pour tirer parole qu’il accepte la nomination du prince dom Pedro, ou, si l’on veut parler autre ment, sa recommandation, pour en faire ressentir l’effet audit évêque dans la promotion des couronnes, car encore qu’il soit aisé à juger qu’au mauvais état où est réduite la santé de Sa Sainteté, on ne peut guère espérer qu’il puisse vivre assez longtemps pour accomplir cette parole, elle ne laisseroit pas, étant une fois donnée, d’étre fort à l’avantage et du Portugal et dudit sieur évêque, pour leur donner lieu de surmonter plus facilement tous obstacles auprès du nouveau pape par l’exemple et la décision qu’en aurait faits son prédécesseur.

Le second état est si ledit sieur duc arrive après la mort du pape pendant la séance du conclave; auquel cas, ayant occasion‘de faire traiter avec celui que l’on voudra élever au pontificat et de mériter dans son élection, Sa Majesté charge ledit duc d’engager l’affaire dudit sieur évêque de Laon le plus avant qu’il lui sera possible et, en lui faisant représenter les différents motifs qui peuvent la rendre plus plausible, tacher de tirer quelque sorte d’assurance que la nomination ou recommandation que le roi de Portugal fit dudit évéque sera reçue par lui et répondue favorablement.

Outre toutes les raisons qui peuvent ètre alléguées en faveur du royaume de Portugal, et dont le sieur Foucher a de très amples mémoires, ledit sieur duc pourra faire reconnoître, soit au cardinal que l’on voudra élire, soit au nouveau pape, que Sa Majesté s’intéresse infiniment dans cette prétention parce qu’elle s’y est engagée par son alliance, mais surtout parce que l’exclusion que le Saint-Siège donneroit là-dessus au royaume de Portugal tourneroit au désavantage de la réputation de Sa Majesté, ne pouvant être considérée dans le public que comme un sacrifice qui seroit fait à l’Espagne de l’honneur et de la dignité la plus essentielle d’un royaume considérable, à l' affermissement duquel Sa Majesté a tant contribué; et, comme le motif de gloire et d’émulation doit paroître le plus pressant de tous, il semble aussi qu’il doit être le plus appuyé au cas qu’on trouvàt beaucoup de résistance.

Le troisième état est avec un nouveau pape quand il sera créé, et Sa Majesté présupposant que l’affaire de l’évèque de Béziers ira son chemin ordinaire sans beaucoup de peine, elle n’aura d’ailleurs aucun intérêt plus considérable dans la cour de Rome que la promotion d’un autre de ses sujets au cardinalat, puisqu’il se trouve heureusement avoir droit de la prétendre. C’est pourquoi ledit sieur duc insistera plus particulièrement sur ce point que sur aucun autre de faire connoître au pape que le Roi l’ayant extrèmement à cœur, jugera principalement de la disposition et des sentiments de Sa Sainteté à son égard par la manière obligeante dont Sa Majesté se promet qu’elle voudra bien y agir, de favoriser ledit évêque, et quoique ledit sieur duc puisse témoigner que le Roi recevra comme une grace singulière ce qu’il plaira au pape de lui accorder, il importe fort néanmoins qu’il lui fasse connoître que Sa Majesté la tient fondée sur beaucoup de justes raisons du coté du royaume de Portugal, afin que le pape soit persuadé qu'il ne lui sera pas facile d’exclure cette proposition par un simple refus, le Roi voulant et pouvant appuyer la demande par des motifs très forts et très légitimes.

Sur cette même matière, ledit sieur duc s’appliquera à confirmer l' ambassadeur du Portugal dans les bonnes intentions qu‘il témoigne, l’assurant que le Roi ne prend pas moins de part aux intérêts du prince son maître et du royaume quià ses propres aflaires, et que Sa Majesté n'a rien recommandé plus fortement audit sieur duc que de soutenir avec lui l’honneur et la dignité de la couronne du Portugal par toute sorte de voies et de moyens possibles dans quelques intérêts qu’elle puisse avoir, et surtout dans la prétention d’un chapeau de cardinal, comme la plus essentielle de toutes à la grandeur du prince son maître et de sa nation.

Comme on n'a pas sujet d’ètre tout à fait content du procédé de M. le cardinal Ursin en cette affaire du cardinalat et que des raisons assez apparentes donnent lieu de douter de ses intentions, croyant peut-être que l’évéque de Laon étant devenu cardinal, la Reine lui feroit donner la protection de ce royaume-là, ledit sieur duc témoignera audit cardinal Ursin, pour tâcher de redresser sa conduite, que Sa Majesté s’en trouvera satisfaite ou mécontente selon qu’il agira diversement sur le sujet dudit cardinalat.

Depuis tout ce que dessus achevé, le Roi a reçu l’avis par un courrier exprès que Sa Sainteté expira le 9 de ce mois, à cinq heures du matin. Sa Majesté n’a rien à ajouter à ce qui est contenu dans ce mémoire, si ce n'est que ledit sieur duc doit se faire communiquer à son arrivée par ledit sieur de Bourlemont et par l’abbé Melani la minute des dépêches que chacun d’eux
a écrites au Roi et audit sieur de Lionne sur les affaires du conclave, où il verra leurs sentiments particuliers et en fera l’usage qu’il estimera à propos.

On a oublié de faire remarquer audit sieur duc que, pour tenir éloignés du pontificat ceux pour lesquels Sa Majesté n’a pas d’inclination, et plus encore ceux qu’elle voudroit exclure, c’est une bonne pièce à faire jouer dans le conclave, que d’y parler adroitement de l'exécution du traité de Pise, comme faisant entendre que tel sujet pourra-t—on élire, que l'on tomberoit bientôt en de grandes contestations avec la France sur la désincamération de Castro solennellement promise par ledit traité.









 

 

 

 

July 12, 2014 3:19 PM                

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