Baron Carl Nils Daniel de Bildt, Christine de Suède et le Conclave de Clément X (1669-1670) (Paris: Plon 1906), 253-255 no. 9:
      La seule affaire à laquelle V. M. m’ordonne par mes instructions
      de travailler étant celle des chapeaux de Pologne et de Portugal, j'en
      ai parlé à la Reine Christine deux fois depuis mon arrivée, et comme
      j'appréhendais d`entrer dans un trop long détail des réponses qu`elle
      dit aux raisons que je lui alléguais pour le Roi de Portugal et
      M' l`Évêque de Laon, elle conclut tout franc qu'elle ne croyait pas
      que ce fût une affaire faisable en cette Cour, à moins que par des
      conjonctures qu’elle ne pouvait pas prévoir, et de grandes longueurs,
      Et comme ce qu'elle me dit me fut un avertissement de prendre
      encore plus de mesures avant l`élection du pape, elle m`écrivit un
      billet le ler de ce mois pour l’aller voir. Ce qu'ayant fait, elle me
      parla de toutes les affaires courantes, c`est ii dire de M' le Card' Bonvisi et de Ill' le Card' Vidoni; elle aimerait mieux le premier, si elle
      ne suivait plus volontiers les sentiments de M" le Cardinal Azzolin
      que les siens propres. Et me voulant pénétrer sur le sujet de M' le
      Card' Vidoni qui est présentement son ami intime, je ne m'ouvris
      pas à mon ordinaire pour lui donner quelqu'ombrage de M. le Card'
      Bonvisi, qu’elle prit bientot, et comme toutes mes audiences se passentpeu sérieusement, elle me dit qu’elle voyait bien que le Card' Bonvisi      était mon Mignon. Je lui dis que je ne contribuerais jamais à l’exaltation d'un Pape pour ses beaux yeux, et que le Cardinal Bonvisi avait
      assez de mérite pour s’attirer la protection de V. M. et assez d’honnêteté pour croire qu'il n’en serait pas ingrat. Sur quoi m’ayant
      demandé si je ne croyais que d'autres le seraient, je lui dis que ce
      serait tant pis pour eux, parce que V. M. avait si peu de choses à
      leur demander, que si ils se brouillaient avec elle pour si peu de
      chose, qu’ils en seraient les premiers punis lorsqu’ils auraient besoin
      de V. M. Comme la Reine Christine est vive et pressante lorsqu’elle
      veut savoir quelque chose, je n’eus pas de peine à me faire tirer les
      vers hors du nez. Elle me demanda d'abord ce que V. M. avait à souhaiter d`un nouveau Pape. Je lui dis : fort peu de chose, après les
      grâces qu’clle avait reçues de Clément Neuf. Eh bien donc, me dit-elle
      qu’est-ce encore que ce fort peu? Je lui dis que je suppliais S. M. de
      me dispenser de m’expliquer davantage, et de me permettre de me
      retirer, parce que je n’avais jamais l’l1onneur de la voir qu'elle ne
      me fit parler la moitié plus que je ne voulais. Sur quoi s’étant mise a
      rire, elle me dit qu’il fallait que le démenti ne lui demeurât pas. Je lui
      dis qu’à ce mot il se fallait rendre parce que je voyais bien qu'elle me
      ferait peut-être arrêter chez elle, si je ne lui obéissais pas. Que V. M.   
      n'avait rien de conséquence a demander pour lui au nouveau Pape,
      mais que les intérêts des Princes, ses amis, lui étaient plus chers que
      les siens propres, et qu’elle était si fort engagée dans les justes prétentions des Rois de Pologne et de Portugal, pour avoir leur part dans les
      promotions, que c’êtait comme son affaire; Que je ne parlais qu’en pasant de celle de Pologne, parce qu'elle était incontestable, dont elle
      convint. Mais qu’à l’égard de celle de Portugal dont le droit était bien
      juste, mais non encore décidé, V. M. aurait à espérer d’un Pape une
      prompte et favorable décision. Et après quelque discussion, tant sur
      la nature de l`affaire que sur la personne de M' l`Evêque de Laon, la
      Reine Christine me dit, après avoir fait deux tours de chambre en rêvant: Eh bien il faut, M' l' Ambassadeur, que nous fassions l`affaire
      de M' l’Évêque de Laon. Je lui dis que V. M. espérait beaucoup d’elle
      en cette occasion, que j’avais ordre de lui en parler, mais que je ne
      l`aurais fait qu'après l`exaltation du Pape, si elle ne m'en avait pressé.
      Que c’était beaucoup qu’elle la voulait faire, et que je ne douterais pas
      du succès quand elle m’en voudrait assurer. Elle me dit qu’elle avait lieu de croire que M' le Card' Vidoni ne la désavouerait pas s’il était
      Pape, dont ayant témoigné de ne pas douter, et qu`elle pouvait même
      plus qu’elle ne disait (pour l’obliger à s’engager davantage), elle me
      dit qu'elle m’assurait qu’elle ferait l`affaire. Sur quoi lui ayant dit à
      dessein de prendre un engagement direct d’elle à V. M. que je connaissais le mérite de M' l'Évêque de Laon, mais qu’à l' égard de ses
      avantages et de son chapeau, ce n’était pas la chose du monde que
      r j'eusse le plus à cœur, hors l’intérêt que V. M. y prenait, mais que je
      manderaisà V. M. ce qu’elle m'ordonnait sur ce sujet. Elle me dit: je vous entends bien, et après avoir un peu rêvé, elle me dit : eh bien
       mandez au Roi de ma part que je m’engage d’avoir le chapeau de M' l’Évéque de Laon (ayant toujours parlé de celui de Monsr de Toulouse comme étant incontestable) et que je lui en suis garante, si
      le Cardinal Vidoni est Pape. Surquoi, je lui dis que ce serait d’agréables paroles à porter à V. M., sur lesquelles elle prendrait d'autant plus confiance, que je savais qu’elle avait des moyens pressants de ne 
      rien risquer. Elle me dit,qu'il était vrai. Sur quoi jelui fis beaucoup
      de compliments sur cette parole qu’elle me donnait de si bon cœur.
      Je lui mandais ensuite. en riant, ce qu'elle ferait si le Cardinal
      Vidoni manquait à ce qu`il lui avait promis. Elle me dit, sans
    balancer, qu’elle le prendrait plutôt à la barbe, que de ne pas accomplir la promesse qu’elle aurait faite à V, Majesté.
Ce que je vois d’avantageux, Sire, en cet engagement de la Reine Christine n`est pas seulement cet engagement présent, en cas que le Card' Vidoni soit Pape, parce que je le crois impossible après l'exclusion de l`Espagne, du consentement de Mr le Cardinal Chigi. Mais c'est l’engagement que j`aurai facilité de prendre d`elle à l’avenir, sur tous les autres qui seront de ses amis, ce qui peut se rencontrer facilement dans la part qu`iI y a apparence que l’Escadron aura au Pontificat et par conséquent le Card' Azzolin. et d`avoir fait déclarer la dite Reine en faveur de ce chapeau, elle qui n'en avait jamais parlé à M' Foucher que comme d’une affaire presque impossible, et qui m’en avait ainsi parlé à moi·même. Et comme je n’ai point perdu cette occasion qui s’est offerte casuellement, je profiterai aussi de toutes les autres qui se pourront présenter pour l' exécution des ordres de V. M. ....
      Signé : le duc de Chaulnes.
      
    
    
      
    
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